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Paby boomers and baby sitters

6 avril 2021

Vivre sur le dos des autres.....
Vivre sur le dos des autres.....

            Je dois à une aussi provençale que providentielle université populaire le plaisir d’avoir pu exposer, un beau soir de l’automne 2020 (en visioconférence), les enjeux de la croissance économique. A quoi bon cette croissance ? Pourquoi toujours plus de PIB chaque année ? Qu’avons-nous à gagner à cette course effrénée que beaucoup considèrent comme une mortelle randonnée ?

 

            Bien entendu, l’emploi, première réponse qui vient à l’esprit, figura en toute première place de mon exposé. Mais parmi quelques autres justifications, j’évoquai rapidement la nécessité de dégager des ressources supplémentaires pour faire face au vieillissement de la population. Si ce vieillissement équivaut à une augmentation de la part des inactifs par rapport aux actifs, il en résulte que chaque actif doit par son travail satisfaire, au-delà de ses propres besoins, ceux d’un nombre croissant d’inactifs (ce nombre tourne autour de 1 en moyenne). La récurrence des débats sur les retraites   rend ce raisonnement familier à tout un chacun. Or, le principal argument que l’on puisse opposer à l’élévation de l’âge de départ consiste précisément à montrer que le gain de productivité des actifs peut permettre au reste de la population de vivre plus longtemps dans l’inactivité.  La croissance est donc une condition pour échapper à l’augmentation 

....ou se mettre à leur service ?    (crédit photo Adobe Stock)
....ou se mettre à leur service ? (crédit photo Adobe Stock)

de l’âge de départ en retraite dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation de l’espérance de vie. 

 

            Voilà que cette assertion fit vivement réagir une de mes auditrices : sans doute personnellement concernée, elle me rappela que de nombreux retraités s’adonnent à des activités bénévoles profitables au reste de la société, passant une grande partie de leur temps soit au service de leur famille (garde d’enfants notamment) soit du milieu associatif (soutien scolaire, aide humanitaire, etc.).  Autrement dit : ces inactifs ne le sont pas tant que ça. Je suppose que cette intervention, qui prenait l’allure d’une objection, signalait chez son auteure la soudaine révélation d’une sorte de cas de conscience. Il lui était désagréable de se découvrir tout à coup responsable, en tant que personne inactive, d’une  croissance économique qui ne lui était pas sympathique, et l’idée que cette croissance pût tirer une quelconque justification dans sa situation personnelle était pour elle particulièrement choquante.

 

            Il importe donc de savoir si cette intervention ne signalait que la réaction d’amour-propre d’une personne protestant de son utilité sociale, ou bien si elle constituait une véritable et pertinente objection à mon propos. Autrement dit, si l’augmentation de l’inactivité d’une partie de la population justifie la croissance économique, est-il permis de corriger cette affirmation en avançant que la croissance du bénévolat des inactifs annule cette justification et  permet de faire l’économie d’un peu de cette  croissance économique?

Un vieux débat

            En réalité, cette intervention illustre un vieux débat d’économistes sur la définition de la productivité du travail et de la limite qui sépare le travail dit productif du travail dit improductif. Cette séparation consiste à diviser la population en deux parties, la première réunissant ceux qui exercent un travail dit productif et la seconde, le reste de la population.  Les uns ont une capacité à produire au-delà de leurs besoins, qui s’appelle le surplus, et qui sert à « nourrir » les autres.

            La frontière entre ces deux catégories de travail (productif et improductif) n’a cessé d’évoluer dans l’histoire de la pensée économique. Pour les Physiocrates du XVIIIe siècle, seul le travail agricole était productif, parce que seule la Nature était capable d’ajouter du réel au réel grâce au miracle de la vie : la croissance biologique était la clef de la croissance économique. La vache qui grandit, le blé qui pousse, la citrouille qui grossit… telle était la seule et la simple explication de l’augmentation de la richesse ; l’artisan, lui, ne faisait que transformer une matière en une autre. Il n’ajoutait rien.  On revient de loin, n’est-ce pas ?  Il en est resté des traces dans l’enseignement agricole, dont les programmes ont longtemps distingué entre « production » (agricole) et « transformation » (industrielle) ; un BTS a longtemps été intitulé « transformation, distribution et commercialisation des produits agricoles ». Dans cette optique, le surplus était agricole et les agriculteurs nourrissaient les urbains en le mettant à leur disposition, ...bon gré mal gré. Bon gré, quand cela prenait la forme d’un échange entre produits alimentaires et produits de l’artisanat : je fabrique tes vêtements, tu cultives le blé de mon pain…  Mal gré, quand le temps du paysan était requis par le seigneur pour entretenir son château ou quand une part de la récolte du métayer allait directement remplir les greniers du propriétaire. 

            Puis la pensée a évolué au fur et à mesure que le travail industriel prenait de l’importance et augmentait sa part dans la population et dans le produit. Avec la révolution industrielle, la vieille pensée physiocratique a laissé place au courant classique, qui révolutionna la définition de la production : bien au-delà du seul processus biologique qui fait pousser les plantes et grandir les bêtes, toute transformation d’une matière inutilisable en tant que telle en un produit doté d’une valeur d’usage en faisait désormais partie. Au lieu d’opposer production et transformation, on s’est mis à assimiler toute transformation à une production, dès lors que cette transformation nécessitait du travail et ajoutait une valeur aux matières premières. Encore fallait-il que l’opération fût matérielle : le commerce et les services n’étaient pas encore considérées, si utiles qu’ils fussent, comme des activités productives, ce qui laissa des traces jusqu’au milieu du XXe siècle : le système de comptabilité nationale qui prévalait jusqu’en 1975 en France distinguait une « production » intérieure, ne comprenant que l’agriculture et l’industrie, et un « produit » contenant en outre les services.

 

             Ces derniers furent alors enfin introduits, mais à la condition d’être soit vendus sur un marché soit rendus par des travailleurs rémunérés par la collectivité : les premiers s’appelèrent services marchands, les seconds services non marchands. C’était la condition sine qua non pour que les statisticiens pussent mettre un chiffre derrière ces services afin qu’ils participent à l’évaluation du PIB (produit intérieur brut).  Depuis lors, les services marchands sont estimés au prix du marché, qui reflète un rapport de forces entre acheteurs et vendeurs, ainsi qu’entre vendeurs (la concurrence). Les services non marchands sont estimés à leur coût en rémunération du personnel.  

Estimer l'inestimable

            On ne cesse donc de reculer la frontière qui définit la richesse économique, au sens de la richesse que l’on peut quantifier monétairement. D’abord située entre le vivant et l’inerte, puis entre le matériel et l’immatériel, elle est aujourd’hui entre le chiffrable et le non chiffrable, entre l’onéreux et le gratuit. Pourquoi ne pas envisager un nouveau recul, qui serait le dernier, et qui consisterait enfin à tout englober, y compris le gratuit ?  En clair, il s’agirait de prendre en compte les activités bénévoles en les chiffrant de manière monétaire. Mais comment attribuer un prix à ce qui est gratuit ? On pourrait évaluer les tâches bénévoles au prix de leur équivalent marchand : par exemple, un coup de main pour un déménagement pourrait être estimé au prix facturé par un professionnel du déménagement. On serait conduit à valoriser d’autant plus une activité bénévole que celle-ci serait lucrative quand elle n’est pas bénévole, ce qui est paradoxal si l’on convient que ce qui fait la valeur d’une activité bénévole c’est précisément sa gratuité. Une heure bénévole de travaux ménagers vaudrait donc moins qu’une heure bénévole passée à donner un cours de chinois, au prétexte qu’une femme de ménage est moins bien payée qu’un professeur de chinois exerçant au lycée Louis Legrand. Il semble plus raisonnable, compte tenu de la parenté qui existe entre les activités bénévoles et les services publics en termes de désintéressement, d’estimer les premières à la manière des seconds, en multipliant un salaire fictif horaire par le temps de travail de ces bénévoles.

 

            Mais revenons à la question initiale, celle du lien qui est censé exister entre croissance et nature des activités.

           

 

            Quand les artisans étaient considérés comme improductifs, la croissance de leur nombre signifiait l’augmentation du nombre de bouches à nourrir par les agriculteurs et nécessitait l’augmentation de la production agricole. Elle était en cela source de croissance. La reconnaissance du caractère productif de l’artisanat changea la formulation du raisonnement mais pas son résultat : ils ne furent plus des bouches à nourrir, devinrent des mains à pétrir et de ces mains sortirent des produits qui entrèrent en tant que tels dans celui de la nation.  De même, que l’on considère aujourd’hui un bénévole comme un pur et simple inactif ou comme un « producteur » de services gratuits, son existence est en soi une contribution au produit intérieur brut, soit en tant que consommateur d’une partie de ce produit produite par d’autres et pour lui, soit en tant que producteur de service.

A propos du revenu universel

            La réflexion peut d’ailleurs être élargie : ce qui est dit du bénévole retraité pourrait s’appliquer à n’importe quel type de bénévole.

            La proposition d’un revenu universel d’existence permet d’imaginer de nouvelles perspectives pour le bénévolat. En effet, cette proposition repose sur le constat fondamental d’une coupure entre l’emploi et le travail, en même temps qu’elle entreprend une promotion de cette coupure. Tout individu, selon les défenseurs de ce projet, qu’il ait un emploi ou non, contribue à la vie de la société, et le revenu universel d’existence servirait à reconnaître cette contribution. « Le revenu universel d’existence, écrit Benoît Hamon, vient reconnaître la contribution de tout individu naissant sur terre à la réalisation du vivre ensemble. Tout être humain interagit avec son milieu social et son milieu naturel, qu’il ait un emploi ou non. L’emploi ne résume pas notre contribution individuelle à la cohésion sociale ou au bien-être collectif. Il dit plus ou moins la part que nous prenons dans la production de richesses matérielles, mais pas si nos activités sont utiles socialement ou toxiques. Pas davantage qu’il ne mesure notre impact écologique, positif ou négatif. L’emploi ne dit pas si nous sommes bons, altruistes ou généreux. »[1]

            Autrement dit, puisque toute activité productive n’est pas forcément bonne pour la société et que certaines peuvent même être nuisibles, il faut en déduire à l’inverse que toute inactivité n’est pas forcément mauvaise, que les individus peuvent être utiles à la société sans exercer d’activité rémunérée et sans produire des biens ni même des services marchands. Il vaut mieux une inactivité propice à l’amélioration philosophique et morale de l’être humain qu’une activité polluante, gaspilleuse et destructrice de la nature.

            Jusque là, ça va. L’erreur serait cependant de croire que la première dispenserait de la seconde, que l’inactivité serait en quelque sorte écologique par nature et parce qu’inactive, donc non polluante et non gaspilleuse.  Ou bien les titulaires du revenu universel le considèrent comme un moyen durable de vivre sans exercer d’activité productive, ou bien comme un tremplin pour « rebondir » vers un emploi productif, salarié ou non. Dans le second cas, ils l’utilisent pour améliorer les conditions de la recherche d’un emploi salarié, pour augmenter la qualité de l’emploi, pour négocier un meilleur salaire avec l’employeur, ou pour préparer une création d’entreprise. Dans le premier cas, si les titulaires de ce revenu échappent ainsi en théorie à l’activité productive, ils demeurent cependant des consommateurs, c’est-à-dire qu’une partie de la population doit produire (y compris de manière la moins écologique possible) pour assurer leur consommation, qui n’a aucune raison d’être moins nuisible ou plus « responsable » que celle de tout autre groupe social. Bien loin d’être une alternative à la croissance de la production matérielle, l’inactivité des uns est conditionnée par l’activité productive des autres, car les uns, pour ne pas produire, n’en restent pas moins des consommateurs des biens et des services que les autres produisent.  Le revenu universel a suffisamment de justifications sociales en soi pour qu’il ne soit pas nécessaire de voir en lui un promoteur de la décroissance.

 

            De même que les paysans « nourrissent » les artisans, (comme les Physiocrates aimaient à le rappeler en leur temps), de même que les artisans habillent les commerçants et les fonctionnaires, ceux-ci, à leur tour, entretiennent les bénévoles. Ces constats n’équivalent pas davantage à nier l’utilité du bénévole que du commerçant ou de l’artisan.

 



[1]Benoît Hamon, Ce qu’il faut de courage. Plaidoyer pour le revenu universel, Editions des Equateurs / Humensis, 2020, p. 73

Ne pas confondre bénévolat et dumping social

            Il en est ainsi parce que toutes ces activités sont complémentaires. Le paysan a besoin du confectionneur pour s’habiller et du commerçant pour écouler ses produits, tandis que le confectionneur a besoin du paysan pour s’alimenter et du maçon pour se loger. L’activité du maçon n’est pas concurrente de celle du chauffeur de taxi, elle lui est complémentaire, chacune permettant à l’autre d’exister en lui fournissant un débouché.

            En est-il de même des activités bénévoles auxquelles s’adonnent aujourd’hui les personnes retraitées et s’adonneraient demain les titulaires d’un hypothétique revenu universel ?  Le bénévolat remplace-t-il une activité rémunérée ou ajoute-t-il à la somme des activités de la nation une activité qui n’aurait pas existé sans lui ? Dans le premier cas, on peut admettre qu’il n’est pas une source de croissance ni une justification de la croissance. Si l’on peut montrer qu’en l’absence du service de garde d’enfants rendu par les grands parents, le nombre de crèches devrait être plus élevé qu’il n’est en réalité, alors la rémunération de ces grands parents retraités ne s’ajoute pas au revenu de la nation : elle ne fait que remplacer la rémunération des salariés des crèches.  En revanche, dans le cas contraire, s’il est permis de penser qu’aucune activité rémunérée n’aurait pu être créée pour pallier l’absence d’une activité bénévole donnée, alors cette dernière constitue bien un plus, qui justifie la croissance. Il faut produire de quoi faire vivre à la fois les grands parents qui gardent leurs petits enfants et les travailleurs des crèches qui en gardent d’autres.

            Alors, laquelle de ces deux hypothèses convient-il de choisir ?

            La réponse est très simple : elle est dans la définition même de l’activité bénévole : la gratuité est son essence. Pour qu’une activité bénévole se substitue à une activité rémunérée, il faudrait que celle-ci puisse intéresser une entreprise privée, bref, qu’elle soit jugée rentable. Beaucoup de facteurs conditionnent la rentabilité. Certains tiennent à la nature du service rendu : des économistes ont ainsi défini les biens collectifs comme étant précisément ceux qui ne peuvent pas être vendus de manière individuelle parce que leur consommation ne crée pas de rivalité :  les quantités consommées par les uns sont encore disponibles pour les autres (on cite souvent comme exemples l’éclairage public ou la défense nationale) [1].

            Mais la condition sine qua non de la rentabilité, préalable à toute autre considération, c’est l’existence d’une demande solvable. A contrario, la raison d’être du bénévolat est l’existence d’une demande non solvable pour certains biens ou services ; pour le dire autrement, le phénomène du bénévolat est la preuve de l’existence de besoins qui ne sont pas satisfaits faute d’argent, de pouvoir d’achat. Ces biens et services peuvent fort bien être les mêmes que ceux que vendent les entreprises privées lucratives, là n’est pas la question. La différence entre l’activité rentable et l’activité bénévole n’est pas dans la nature des services rendus ; elle se définit plutôt par les conditions dans lesquelles ils le sont. On peut toujours attribuer un prix aux activité bénévoles à partir de leur équivalent marchand ; mais cette opération de l’esprit est incapable en elle-même de décider que les bénévoles pourraient être remplacés par des entreprises du secteur lucratif s’ils ne répondaient pas présents.

            Que se passerait-il si Roger refusait le coup de main que lui demandent ses voisins Camille et Thibaut pour leur déménagement, ou si les grands parents de Jessica refusaient de garder leurs deux enfants pendant que maman et papa travaillent, eux ? Cela augmenterait-il le nombre de crèches ou le nombre de déménageurs professionnels ? Là est la question. Si les jeunes voisins de Roger n’ont pas recours d’emblée aux déménageurs professionnels, c’est sans doute qu’ils manquent d’argent. S’ils étaient malgré tout obligés de se saigner pour payer une entreprise, ils le feraient en sacrifiant d’autres consommations : peut-être se priveraient-ils de quelques séances de cinéma ou d’un week-end aux sports d’hiver. Bref, l’argent gagné par ce déménageur serait perdu par un exploitant de salle de cinéma, par un hôtelier, par un exploitant de remontées mécaniques ou de station-service. On me rétorquera peut-être que ces jeunes gens peuvent piocher dans leur épargne. S’ils le pouvaient, chaque coup de pioche en plus dans cette épargne serait un coup de pioche en moins pour construire la future maison pour laquelle ils l’ont constituée et chaque euro retiré de cette épargne, un euro qui manquerait à une entreprise du bâtiment. On pourrait encore me rétorquer qu’ils peuvent emprunter pour payer le déménageur. Certes, mais s’il le font aujourd’hui, l’argent dépensé grâce à cette dette sera retiré du circuit au moment du remboursement et du paiement des intérêts. N’étant pas banquiers, Camille et Thibaut n’ont pas le pouvoir de rajouter de la monnaie dans le circuit.   Et que dire alors des activités bénévoles qui sont exercées dans le cadre d’associations humanitaires ? Le secteur agro-alimentaire souffre-t-il de l’existence des Restos du Coeur ? A quelles entreprises se substituent les organisations qui viennent au secours des migrants en Méditerranée ? Aux passeurs ? Est-ce que le Club Med pâtit de l’existence de clubs de joueurs de pétanque ? Bref, si une défaillance du bénévolat peut stimuler certaines activités marchandes, c’est au détriment d’autres productions marchandes, mais sans effet global sur le produit marchand.

 



[1]Ils distinguent deux catégories : les biens collectifs purs, dont la consommation présente les deux propriétés de non-rivalité et de non-excluabilité, et les biens collectifs mixtes, dont la consommation peut être rendue exclusive par le système du péage (ex ; télévision à péage) alors même qu’il n’existe pas de rivalité naturelle

A l'oeil, mon oeil !

La gratuité, ça n'existe pas

            Le bénévolat n’est pas un secteur concurrent du secteur lucratif. Il est complémentaire ou il n’est pas. S’il n’est pas complémentaire, c’est que ce n’est pas du véritable bénévolat, mais du dumping social. Il en est ainsi par exemple lorsque papy occupe ses journées à réparer des éviers pour le compte de son beau-frère qui aurait largement de quoi se payer un plombier.

            Il faut en déduire qu’inversement, si le bénévolat ne remplace pas la production marchande, l’expansion du bénévolat ne nuit pas à la croissance économique.

            Il faudrait ajouter qu’elle n’en dispense pas.  Car en réalité, du point de vue de la société, il n’y a pas de bénévolat. Que les retraités donnent de leur temps à autrui ou qu’ils s’adonnent à des loisirs égoïstes, ils sont rémunérés par les cotisations sociales des actifs. Leur revenu entre dans la composition du revenu national, lui-même contrepartie nette du produit intérieur brut. Que les futurs titulaires du revenu universel choisissent de s’installer dans l’improductivité ou dans la recherche d’emploi classique, qu’ils remplissent dans le premier cas l’improductivité par des activités bénévoles ou non, ils sont eux aussi rémunérés par la partie productive de la population, de même que les fonctionnaires le sont à travers les impôts, de même que la partie de la population qui travaille dans le commerce et les services est d’une certaine manière habillée par les travailleurs du textile, logée par ceux du bâtiment et nourris par ceux de l’agriculture.

 

            En ce sens, la gratuité, ça n’existe pas

Conclusion

            Est-ce que la manière dont le travail bénévole est mesuré, mais avant tout classé, change quelque chose à l’influence du vieillissement de la population sur la croissance ?

 

            De deux choses l’une : ou bien on renonce à monétiser l’activité bénévole, et on adopte la distinction classique entre travail productif et travail improductif, qui conduit à admettre que les « actifs » doivent bien produire de plus en plus pour financer des « inactifs » de plus en plus nombreux ; ou bien on se refuse à considérer ces bénévoles comme des inactifs et on attache une valeur monétaire à leurs activités bénévoles afin de l’intégrer au PIB. On doit alors s’attendre à ce que le PIB augmente du fait de l’augmentation des activités bénévoles.

Conclusion de la conclusion

            Et si on changeait totalement de méthode de raisonnement ? Abandonnons la distinction entre actifs et inactifs, entre travail productif et improductif et même, entre travail et activité bénévole. Admettons tout simplement que la croissance économique, quelle que soit la manière dont on la mesure, est l’augmentation de l’activité. On ne peut à la fois regretter que les activités bénévoles ne soient pas mesurées dans le PIB et refuser de considérer que leur augmentation est un aspect de la croissance économique. Constatons ensuite qu’une partie importante du vieillissement de la population est due à une augmentation de l’espérance de vie : les individus vivent en moyenne de plus en plus longtemps et, de plus, de plus en plus longtemps actifs, sous la double la forme du travail rémunéré et de l’activité bénévole. Ce simple fait induit une augmentation de l’activité globale ; il est donc générateur de croissance.