Vous devez suivre cette leçon si vous pensez :
Que David Ricardo est un footballeur portugais qui évolue en international,
Que la Division Internationale du Travail est une organisation syndicale communiste qui étend son influence sur la planète entière,
Qu’il faut acheter local pour ne pas payer trop cher,
Qu’il faut acheter local pour créer des emplois,
Que nous avons tous intérêt à ouvrir nos frontières,
Que nous avons tous intérêt à fermer nos frontières
…
La « division internationale du travail » (DIT) est une expression qui pourrait être remplacée, (si elle n’était pas jugée trop simple) par l’expression « spécialisation internationale ».
Une nation est spécialisée dans un bien ou une catégorie de biens ou services si l’on peut observer que ce bien ou cette catégorie représente une part remarquable de son produit intérieur brut ou de ses exportations.
L’expression sous-entend que le « monde » se diviserait, se partagerait le travail qu’il a à accomplir, comme une famille, ou comme un groupe d’amis en camping : l’un(e) se chargerait de planter la tente tandis qu’un(e) autre irait chercher du bois, qu’un(e) troisième s’occuperait de la cuisine, un(e) quatrième d’aller laver le linge à la rivière et qu’un(e) dernier(ère) promettrait de faire la vaisselle.
Ricardo (1772-1823) fait partie de l’école classique anglaise.
Il s’inscrit dans le courant libéral, pour lequel :
la concurrence régule au mieux l’économie,
chaque acteur s’efforce de minimiser le prix à payer et de maximiser ses gains : c’est la notion de rationalité économique individuelle.
Il partage avec les marxistes la théorie de la valeur-travail : le prix des marchandises reflète la quantité de travail qu’il a fallu fournir pour les produire
1 Hypothèses
Chaque pays a un avantage relatif à produire une catégorie de bien ;
cet avantage est naturel ;
cet avantage est mesuré à travers les temps de travail respectifs nécessaires pour la production d’une unité de chaque bien ;
une heure de travail s’échange contre une heure de travail : dans chaque pays, le prix d’un bien peut s’exprimer en nombre d’unités d’un autre bien.
2 Propositions
La concurrence tend à spécialiser les pays en fonction de leurs avantages comparatifs ;
Chaque pays tire un avantage de cette spécialisation.
3 Démonstration
Soit deux pays, l’Angleterre et le Portugal par exemple.
L’Angleterre est absolument avantagée dans toutes les productions[1].
Mais l’Angleterre est relativement avantagée dans la production de draps, et le Portugal dans la production de vin.
Le tableau n°1 exprime cette situation
Tableau n° 1
Temps de travail en heures par unité |
Angleterre |
Portugal |
Prix international |
Drap (1 m) |
2 |
3,5 |
|
Vin (1 hl) |
6 |
7 |
|
Prix du vin en unités de drap |
3 |
2 |
2,5 |
Prix du drap en unités de vin |
1/3 = 0,33 |
½ = 0,5 |
0,4 |
1re proposition
On voit que le drap est plus cher au Portugal qu’en Angleterre, et inversement pour le vin.
Les Anglais ont intérêt à acheter du vin portugais plutôt qu’anglais.
Les Portugais ont intérêt à acheter du drap anglais plutôt que portugais.
Donc la concurrence devrait aboutir à ce que, à la limite, plus aucun producteur anglais de vin ne trouve preneur et que, de même, plus aucun producteur portugais de drap ne trouve preneur.
Les producteurs ainsi évincés du marché disparaissent ou sont obligés de se reconvertir.
Dans les deux cas, on peut dire que la concurrence internationale spécialise les pays.
2de proposition
Chaque pays trouve son intérêt à cette situation.
Le prix international de chaque bien va se fixer entre les prix respectifs de ce bien dans les deux pays.
En effet, aucun exportateur n’accepterait de vendre à l’étranger un bien qu’il pourrait écouler plus cher localement.
Inversement, aucun consommateur (ou distributeur) n’accepterait de payer à l’étranger plus cher que ce que des producteurs locaux lui demandent.
Le tableau n° 1 fournit un exemple de prix international pour chacun des deux biens.
Comparons successivement deux cas :
1. Chaque pays partage par moitié la quantité potentielle de travail dont il dispose (capacité de production) entre les deux produits ;
2. Chaque pays consacre la totalité de cette capacité de production au bien pour lequel il a un avantage comparatif.
Supposons un potentiel de 8 400 heures pour chaque pays
Le tableau n° 2 résume la situation
Tableau n° 2
|
1er cas |
2nd cas |
Production de vin par le Portugal |
4 200 / 7 = 600 |
8 400 / 7 = 1 200 |
Production de vin par l’Angleterre |
4 200 / 6 = 700 |
0 |
Production de drap par le Portugal |
4 200 / 3,5 = 300 |
0 |
Production de drap par l’Angleterre |
4 200 /2 = 2 100 |
8 400 / 2 = 4 200 |
Dans le 2nd cas, l’Angleterre échangera avec le Portugal :
2 100 unités de drap contre 2 100 x 0,4 = 840 unités de vin, alors qu’elle n’en obtient que 700 en les produisant.
Le Portugal échangera avec l’Angleterre :
600 unités de vin contre 600 x 2,5 = 1 500 unités de drap, au lieu de 300 obtenus dans le 1er cas, en les produisant lui-même.
Chaque pays obtient davantage d’unités du bien pour lequel il n’est relativement pas avantagé en l’achetant qu’en le produisant.
[1] Curieusement, Da. Ricardo supposait le contraire dans son exemple. Cf. Christian Chavagneux : « Les petites cachotteries de David Ricardo », Alternatives économiques, n° 351, novembre 2015, p.108.
[2] Cf., de nouveau : Christian Chavagneux : « Les petites cachotteries de David Ricardo », Alternatives économiques, n° 351, novembre 2015, p.108.
Dans la réalité, il existe plus de deux pays. Le commerce est multilatéral et non bilatéral
Dans la réalité, les temps de travaux ne sont pas figés. Le développement économique permet (a permis) l’augmentation de la productivité du travail donc la diminution de ces temps.
La concurrence tient compte aussi de la qualité des produits et pas seulement de leur prix.
Dans la réalité, à l’époque même de Ricardo, les courants d’échange étaient davantage tracés par la politique que par l’économie. Les pays colonisateurs les imposaient, souvent par la violence, aux pays colonisés.[1]
[1] Cf., de nouveau : Christian Chavagneux : « Les petites cachotteries de David Ricardo », Alternatives économiques, n° 351, novembre 2015, p.108.
Le courant néoclassique considère :
que la valeur des biens se mesure par leur utilité,
que la valeur des facteurs de production se mesure par leur productivité,
que le prix des biens et des facteurs de production résulte du rapport entre l’offre et la demande,
que l’ensemble des éléments matériel et immatériels qui concourent à la production peut être réduit à deux facteurs de production : le capital et le travail.
Le salaire est le prix du travail et le taux d’intérêt est le prix du capital.
Eli Hecksher et Bertil Ohlin sont deux économistes suédois qui ont travaillé sur la DIT entre les deux guerres mondiales, respectivement en 1919 et 1933. Leur modèle sera complété dans les années 1940 par Paul Samuelson et Wolfgang S. Stolper.
1 Hypothèses
Chaque pays se définit économiquement par une dotation particulière en facteurs de production : certains possèdent surtout du travail, d’autres, surtout du capital.
Chaque bien est produit avec une combinaison particulière de capital et de travail. Il existe des industries dites de main-d’œuvre, qui utilisent surtout du travail, et d’autres industries qui utilisent surtout du capital.
Les facteurs de production sont immobiles entre pays.
2 Proposition
La concurrence tend à spécialiser chaque pays dans la production qui nécessite le plus du facteur de production dont il est le mieux pourvu.
3 Démonstration
Le prix des facteurs de production résulte du rapport entre l’offre et la demande.
Quand un facteur de production est abondant, son prix est bas.
Les biens qui sont produits avec une grande part de ce facteur sont moins chers lorsqu’ils proviennent d’un pays où ce facteur est abondant, donc bon marché, que quand ils viennent d’un pays où ce facteur est rare, donc cher.
4 Illustration.
La confection est une industrie dite de main-d’œuvre : la proportion de travail par rapport au capital y est plus importante que dans d’autres industries.
Le coût de production d’un vêtement dans un pays où le salaire est faible sera donc inférieur au coût de production du même vêtement dans un pays où le salaire est élevé.
Les premiers vont donc concurrencer les seconds jusqu’à ce que la confection disparaisse des seconds.
Inversement, l’aéronautique, qui utilise une moindre proportion de main-d’œuvre par rapport au capital, s’imposera dans les pays où le salaire est certes élevé, mais où le taux d’intérêt est faible.
Exemple.
On suppose deux pays A et B, avec :
|
Pays A |
Pays B |
Coût salarial en €/heure |
20 |
5 |
Taux d’intérêt en % |
3 |
10 |
On suppose deux branches, l’une, appartenant à la confection, qui fabrique des pantalons, l’autre, appartenant à l’aéronautique, qui fabrique des moteurs d’avion.
|
Pantalons |
automobiles |
Quantité de travail (en heures) pour fabriquer 1 unité[1] |
5 |
500 |
Quantité de capital en € par heure |
0,05 |
0,25 |
Quantité de capital en € par unité |
0,5 |
125 |
Prix d’un pantalon :
Dans le pays A :
(20 x 5) + (0,03 x 0,5) = 100 + 0,015 = 100,015 €
Dans le pays B :
(5 x 5) + (0,1 x 0,5) = 25 + 0,05 = 25,05 €
Prix d’une auto :
Dans le pays A :
(20 x 500) + (0,03 x 125) = 10 000 + 3,75 = 10 003,75 €
Dans le pays B :
x 500) + (0,1 x 125) = 2 500 + 12,5 = 2 512,5 €
Conclusion : les prix des deux produits restent plus élevés dans le pays A que dans le pays B, car le travail pèse plus que le capital dans le coût de production. Cela montre les limites de cette approche.
Dans la réalité, les facteurs de production ne sont pas immobiles entre pays. Le travail est le facteur de production le moins mobile, mais le capital, lui, à la suite des progrès techniques et de l’ouverture des frontières, est devenu très mobile.
Il s’avère qu’aucune industrie n’est en soi définie par une dotation définitive en facteurs de production. Par exemple, la modernisation du textile tend à en faire une industrie qui utilise beaucoup de machines, voire d’équipements numériques ou de robots.
Dans la réalité, le taux d’intérêt n’est pas la seule explication de la localisation des industries dites « lourdes » (proportion de capital élevée) : il faut considérer l’environnement technologique (enseignement, recherche, infrastructures…), la maîtrise technologique, la taille des entreprises, leur capacité à investir massivement…
Dans la réalité, la spécialisation internationale n’a jamais été équilibrée : les pays industrialisés les plus puissants ont de fait une économie très diversifiée ; seuls les pays les plus pauvres subissent une spécialisation poussée.
Par exemple, d’un côté, les Etats-Unis et le Canada sont deux grandes puissances aussi bien agricoles qu’industrielles. D’un autre côté, certains pays (pauvres) tirent la majeure part de leurs recettes d’exportation d’un seul bien : le cuivre pour la Zambie, l’uranium pour le Niger, le café pour l’Ouganda, le Burundi et le Rwanda, le sucre pour Cuba…
Dans la réalité de l’économie mondialisée, la répartition des tâches est aujourd’hui beaucoup moins due à la concurrence internationale qu’ à la planification interne aux groupes multinationaux : ceux-ci répartissent les différentes étapes des processus de production entre leurs filiales.
Les théories de la DIT ont été utilisées pour justifier le cantonnement des pays en voie de développement dans la production de produits de base, puis dans les industries dites « légères » ou de main-d’œuvre.
Coût d’une heure de travail dans le secteur manufacturier en 2010 (base 100 en France)[1]
Slovaquie |
26,4 |
Suisse |
131,2 |
Danemark |
112,1 |
Brésil |
24,9 |
Corée du Sud |
41,0 |
Allemagne |
107,9 |
Taïwan |
20,6 |
Royaume-Uni |
72,6 |
Etats-Unis |
85,7 |
Japon |
78,9 |
Taux d’intérêt
|
Taux d’intérêt des prêts en 2017[2] en % |
Taux d’intérêt des obligations d’Etat à 10 ans (OCDE) en 2017 |
Taux d’intérêt réel (Banque mondiale) |
Afghanistan |
|
|
9,4 |
Afrique du Sud |
10,4 |
9,05 |
3,2 |
Algérie |
8,0 |
|
7,0 |
Angola |
15,8 |
|
-9,1 |
Argentine |
31,2 |
|
-10,5 |
Australie |
5,2 |
2,64 |
5,9 |
Brésil |
46,9 |
|
40,4 |
Chine |
4,3 |
|
3,1 |
Colombie |
13,7 |
6,82 |
8,3 |
Corée (du sud) |
3,5 |
2,28 |
1,5 |
Etats-Unis |
|
2,33 |
2,2 |
Islande |
7,3 |
4,86 |
6,0 |
Italie |
3,0 |
2,11 |
2,6 |
Japon |
|
|
0,8 |
Koweït |
4,7 |
|
11,3 |
Qatar |
4,7 |
|
14,9 |
République tchèque |
3,6 |
0,98 |
2,6 |
Singapour |
5,3 |
|
6,9 |
Suisse |
|
-0,07 |
3,2 |
Ukraine |
16,4 |
|
1,8 |
Canada |
|
1,78 |
|
Norvège |
|
1,64 |
|
Espagne |
|
1,56 |
|
Royaume-Uni |
|
1,24 |
|
France |
|
0,81 |
|
Allemagne |
|
0,32 |
|
Costa Rica |
|
8,90 |
|
Mexique |
|
7,25 |
|
Inde |
|
6,92 |
|
Colombie |
|
6,82 |
|
[1] Source : Bureau of Labor Statistics, Guillaume Duval : « Les chômeurs attendront ! », Alternatives économiques, n° 310 – février 2012, p. 15, extrait)
[2] Taux d’intérêt perçu par les banques sur les prêts accordés aux clients préférentiels (Banque mondiale)