La périphrase

Définition

Ce qu'en disent les spécialistes

            « Au lieu d’un seul mot, on en met plusieurs qui forment le même sens. Ex. : l’oiseau de Jupiter pour l’aigle. » 

Illustrations

Moi, ce que j'en dis...

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            Quand Victor Hugo se moque de la périphrase, ça donne ceci :

 

                   « J’ai dit à la narine : Eh mais ! Tu n’es qu’un nez !

                      J’ai dit au long fruit d’or : Mais tu n’es qu’une poire !

                      J’ai dit à Vaugelas : Tu n’es qu’une mâchoire !

                        ... »[1]

 

            La périphrase peut remplir diverses fonctions :

 

                        Technique (pour éviter une répétition)

                                    le locataire de Carthage

                                    le locataire de Matignon

                                    le locataire de la Maison-Blanche

                                    ...

 

                        Liturgique :

                                    Le Grand Timonier (Mao Tse-tung)

                                    Le Génie des Carpates (le dictateur roumain Nicolas Ceausescu)

                                    Le Commandeur des croyants (le sultan du Maroc)

                                    Le Commandant suprême (le chef d’État tunisien Habib Bourguiba)

                                    Le Saint Père

                                    …

           

                        Bureaucratique

                                    L’usage de la périphrase permet de  créer une distance qui, en dépersonnalisant les débats, se veut une garantie de ce que priorité sera donné à la raison au détriment des passions.

                                    « Attendu que ni l’Accusation  ni les parties civiles n’ont réussi à apporter la moindre preuve de la culpabilité de mon client... »

                                    Le remplacement dans le vocabulaire de « fessée » par « violence éducative quotidienne » est le signe d’une appropriation du phénomène par le discours scientifique, du découpage analytique de sa singularité à l’aide d’une pluralité de descripteurs élémentaires qui le rendent assimilable.

           

                                    La drogue devient de la « matière stupéfiante »[1]

 

                        Pudiquement technocrate

Comment interdire aux manifestants mécontents d’Emmanuel Macron de couvrir sa voix lors de ses déplacements par des bruits de casseroles ? Comment formuler cette interdiction d’une façon suffisamment générale pour qu’elle ne ressemble pas à la réaction de circonstance d’un pouvoir aux abois ?

C’est le miracle de la périphrase. À l’occasion de la visite présidentielle à Ganges, dans l’Hérault, le 20 avril 2023, un arrêté préfectoral interdit aux manifestants l’usage de « dispositifs sonores portatifs ou émanant de véhicules non dûment autorisés »

 



[1] France Inter, journal de 13 h dans les quartiers nord de Marseille, 20 janvier 2022

 

                        Diplomatique

au sens du « politiquement correct »

                                    une personne en situation de handicap

                                    une personne à mobilité réduite

                                    un non-voyant

(Attention : une véritable litote, déguisée en périphrase, s’est glissée dans cette énumération)

                                   un homme de couleur

     une personne racisée

     des gens du voyage

 

 

Désuètement phallocratique

le beau sexe

 

 

Dans les vers qui suivent, Guy Béart enchaîne deux périphrases, dont la signification ne peut se comprendre qu’à partir du postulat de l’hétérosexualité, sous-entendu comme une évidence, qui n’irait plus de soi en 2021.

 

Qu’on est bien dans les bras d’une personne du sexe opposé

...

 

Qu’on est bien dans les bras d’une personne du sexe qu’on n’a pas

 

 

Désuètement bigotte

« Mais lorsque, dans l’abandon de soi, nous eûmes consommé le saint mystère nuptial, ... »1

 

Elliptiquement pudibonde 

« Nous nous connûmes »2

1 Maxime Gorki, Une confesssion, Phoebus, 2005, Libretto, p. 164

 

2 Idem, op. Cit., p. 67.

 

 

            Quelquefois, quand elle excède en précision au point qu’il soit impossible de ne pas reconnaître derrière elle l’individu qu’elle est censée dissimuler,  la périphrase est une forme de prétérition

 

            « Personne ne peut comprendre qu’une maire d’une grande ville du Nord n’appelle pas clairement à voter Macron », disait Manuel Valls entre les deux tours de l’élection présidentielle française de 2017[2]

            En réalité, les mots de Manuel Valls étaient choisis de sorte que tout le monde  reconnaisse « Martine Aubry » dans ce miniportrait. Le fait de ne pas la nommer était une manière de policier le débat (ce qui n’enlève rien à sa férocité), à moins qu’il n’équivalût à la souscription d’un contra d’assurance destiné à mettre le locuteur à l’abri de tout procès en diffamation.

 

 « La junte militaire au pouvoir à Bamako a répondu hier sur le ton du défi aux sévères mesures de sanctions prises par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) : « illégales » et « inhumaines », a déclaré un porte parole en uniforme kaki, accusant les chefs d’État africains de se faire « instrumentaliser par des puissances extrarégionales aux desseins inavoués » ; comprenez la France ! »1

 

1 Pierre Haski : « Au Mali, l’heure de vérité pour la junte militaire », Géopolitique, France Inter, 11 janvier 2022, 8 h 17

 

 

 

            Cet usage  est alors à mettre en rapport avec le langage diplomatique.

 

 



[1] Victor Hugo, Les Contemplations, Magnard, Classiques et Patrimoine, Livre premier : Aurore, « Réponse à un acte d’accusation », p. 30.

[2] Lors de la réunion du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale qui s’est tenue le 25 avril à la Maison de la Chimie (propos cités par Laurence Peuron, sur France Inter, le 26 avril 2017, dans le journal de 8 h).