1re solution

            « La France ne peut pas dévaluer sa monnaie, car elle n’a plus de monnaie propre, puisque sa monnaie est l’euro. Si le franc existait encore, elle pourrait le dévaluer pour regagner de la compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne… »

C’est juste. Mais attendons la suite…

            « …Sa balance commerciale se rééquilibrerait, les caisses de l’Etat se rempliraient de devises, elle n’aurait plus besoin de s’endetter… »

Non, les exportations ne remplissent pas les caisses de l’Etat.

Vous êtes victime ici d’une synecdoque, celle par laquelle on désigne un acteur par le territoire sur lequel il est installé. L’exportation constitue une vente par un acteur installé sur un territoire d’un produit à des acteurs clients installés sur un autre territoire.

Il en résulte une confusion entre l’Etat et la nation. Dans : « La France exporte du blé », la France ne représente pas l’Etat français.

 

2e solution

            « La France ne peut pas dévaluer sa monnaie, car elle n’a plus de monnaie propre, puisque sa monnaie est l’euro. Si le franc existait encore, elle pourrait créer des francs qui seraient injectés dans le circuit économique… »

En effet. Mais cette phrase est une ellipse. Il faudrait remplir les blancs : la France aurait encore sa banque centrale qui pourrait, par différentes moyens relevant de la politique monétaire, encourager ou décourager le crédit accordé par l’ensemble des banques installées sur le territoire français.

Mais attendons la suite…

« … Le franc se dévaluerait, certes, car il y en aurait trop… »

Cette phrase constitue une interprétation audacieuse de la pensée de l’auteur. Celui-ci avait une conception active de la dévaluation : « La France ne peut pas dévaluer sa monnaie ». Il y a un sujet (la France, vraisemblablement l’Etat français) et un verbe employé à la forme active. Cela sous-entend une décision politique.

            Le terme dévaluation est par ailleurs un peu trop restrictif. Il suppose que c’est l’Etat qui commande directement la valeur de sa monnaie. Ce n’était le cas qu’en présence d’un système monétaire international, soit par exemple, pour ce qui est du système de Bretton Woods, jusqu’en 1971, c’est-à-dire bien avant la naissance de la monnaie unique européenne. En clair, lorsque les pays de la zone euro ont abandonné leurs monnaies nationales au bénéfice de l’euro, il y avait déjà belle lurette qu’ils avaient renoncé au pouvoir de la dévaluation en tant qu’acte politique et qu’ils avaient confié aux marchés des changes le soin de déterminer la valeur externe des monnaies. Même le pays de l’éditorialiste, qui a conservé la livre sterling, ne pratique plus de « dévaluations ».

         D’où, sans doute,  votre interprétation, qui transforme un verbe actif en un verbe employé à la forme pronominale (« se dévalue »). Cela suppose que la dévaluation, au lieu d’être une décision politique, est un phénomène, qui se réduit à celui de l’inflation. Mais cette inflation serait quand même provoquée par une création excessive (« il y en aurait trop ») de monnaie.

         La fidélité de votre interprétation à la pensée de l’auteur est vraisemblable. Mais sa pertinence est discutable.

         L’idée que la création de monnaie provoque systématiquement de l’inflation est un mythe. Le caractère « excessif » de la quantité de monnaie créée n’a de sens que si on la rapproche d’une autre grandeur : la quantité de biens et services produits. De deux choses l’une : ou la création de monnaie réussit à relancer l’activité, comme cela est supposé dans la suite de votre interprétation…

« …Mais l’activité économique serait relancée, la croissance reviendrait,… »

...ou elle n’y réussit pas et c’est l’inflation qui prend le relais. Mais il faut choisir, ou, plus exactement, il faut doser : la création de monnaie peut, certes provoquer à la fois de l’inflation et de la croissance, mais elle provoquera d’autant moins la première qu’elle réussira à stimuler davantage la seconde.

 

3e solution

            « La France ne peut pas dévaluer sa monnaie, car elle n’a plus de monnaie propre, puisque sa monnaie est l’euro. Si le franc existait encore, elle pourrait créer des francs qui seraient injectés dans le circuit économique… »

Rien à ajouter jusqu’ici.

 « …Le franc se dévaluerait, car il y en aurait trop. Cela provoquerait de l’inflation,… »

 

Jusqu’ici, votre interprétation est, comme la précédente, vraisemblablement fidèle à la pensée de l’auteur, mais sa pertinence peut être discutée dans les mêmes termes que la précédente.

 

 « …qui diminuerait la valeur réelle des remboursements et des intérêts liés à la dette publique… »

En effet.

            « …Mais ce n’est pas possible. Donc, “Paris” n’a pas la possibilité d’alléger sa dette publique, ce qui est traduit par : “Paris a eu recours à la dette publique”».

Ici, c’est peu dire que vous tordez la pensée de l’auteur : vous l’essorez !

Il reste tout de même une différence incontournable entre  alléger le poids d’une dette existante  et éviter d’alourdir cette dette. A contrario, est-il vraiment raisonnable de traduire « Paris a eu recours à la dette publique » par « Paris n’a pas pu alléger sa dette publique » ?

 

4e solution

            « La France ne peut pas dévaluer sa monnaie, car elle n’a plus de monnaie propre, puisque sa monnaie est l’euro.

            Si le franc existait encore, elle pourrait le dévaluer pour regagner de la compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne.

            L’augmentation des exportations françaises en direction de l’Allemagne, en s’ajoutant au marché intérieur déjà existant, tirerait la croissance. Les recettes publiques étant soit proportionnelle, soit plus que proportionnelles au revenu national, elles augmenteraient, ce qui diminuerait le déficit public et éviterait à l’Etat de s’endetter.

            Mais ce n’est pas possible. Donc, “Paris” n’a pas d’autre solution que de  “recourir à la dette publique” ».

         Votre interprétation fait un grand honneur à cet éditorialiste, car le raisonnement qui lui est prêté est à la fois subtil,  complexe et pertinent. Cependant, l’auteur s’y reconnaîtrait-il ? Cela me paraît peu vraisemblable, car la relation établie entre l’impossibilité de dévaluer et le recours à la dette publique est présentée dans son texte comme allant tellement de soi qu’on a de la peine à imaginer que son auteur est conscient de son caractère parfaitement contingent.  En effet, de nombreux aléas encombrent les différents maillons intermédiaires supposés implicites de ce  raisonnement.

Premièrement, la perte de compétitivité ne se traduit par un creusement du déficit commercial que si elle n’est pas compensée par une récession, laquelle limite les dépenses des agents économiques privés et, ce faisant limite les importations ;

Deuxièmement, le creusement du déficit commercial ne diminue automatiquement la croissance que si  l’exportation en est le principal moteur et sans que les autres moteurs de la croissance, que sont la consommation, l’investissement et les dépenses publiques ne viennent en  compenser la panne.

Troisièmement, la diminution de la croissance creuse en effet presque à coup sûr le déficit public, sauf dans les cas où un gouvernement est à la fois assez fort et assez fou pour compenser intégralement les diminutions de recettes publiques par des diminutions équivalentes de dépenses publiques ou par une augmentation des taux des impôts ou des cotisations sociales. La rigueur ne suffit pas, l’austérité non plus : il y faut une austérité aveugle.

 

5e solution

            « La France a besoin de relancer sa croissance économique pour faire face à la montée du chômage.

            Or, la France ne peut pas dévaluer sa monnaie, car elle n’a plus de monnaie propre, puisque sa monnaie est l’euro.

            Si le franc existait encore, elle pourrait le dévaluer pour regagner de la compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne.

            L’augmentation des exportations françaises en direction de l’Allemagne, en s’ajoutant au marché intérieur déjà existant, tirerait la croissance.

            Mais cette politique ne peut être utilisée. La France ne peut non plus, pour la même raison, pratiquer une relance monétaire de l’activité économique, qui consisterait à décider de créer de la monnaie pour alimenter le circuit économique et relancer ainsi l’activité par le crédit.

            Il ne lui reste donc que la relance par le déficit budgétaire public, ce qui conduit l’Etat à s’endetter. Donc,  “Paris”  n’a pas d’autre solution que de  “recourir à la dette publique” ».

 

Raisonnement sans faute. C’est vraisemblablement l’interprétation la plus cohérente

 

Il reste cependant une sixième solution envisageable.

 

6e solution

            Supposons un seul instant que l’auteur confonde, suite à un abus de synecdoques prises au premier degré, la nation et l’Etat. On sait que le déficit commercial (plus exactement celui de la balance des comptes courants) se traduit automatiquement par un endettement de la nation, qui doit trouver les devises étrangères nécessaires pour payer la partie des importations qui n’a pas été couverte par des exportations. Or, trouver les devises, c’est s’endetter auprès de l’étranger. Même l’achat d’une devise (par exemple le dollar) sur un marché des changes est un pseudo achat. La fourniture d’euros ne rend pas l’Europe quitte, car l’euro n’est  qu’une reconnaissance de dette émise par la banque centrale européenne. Ce n’est pas l’acteur économique privé qui contracte cette dette. Lui est quitte.  Mais la banque centrale prend le relais sur cette responsabilité.  La banque centrale représente la nation. C’est donc la nation (ici, la zone euro) qui s’endette. Vu sous cette angle, la phrase « Paris a eu recours à la dette publique » s’éclaire d’un jour nouveau (même si, en l’occurrence, ce n’est pas Paris, mais Francfort, qui émet l’euro). D’autant qu’un indice très sérieux présent dans ce petit bout de texte peut alimenter le soupçon d’une confusion entre Etat et nation. En effet,  l’auteur écrit cet incroyable lapsus (à moins qu’il ne soit dû au traducteur) : « Alors que d’autres pays européens parvenaient à limiter le poids de l’Etat dans leur budget, celui de la France représente presque 57% du PIB ». Le poids de l’Etat dans le budget ! Mais le budget de qui ? si c’est le budget de l’Etat, c’est une absurdité : le poids de l’Etat ne peut que représenter 100% de son propre budget. Il semble que ce soit autre chose, comme l’indique la suite de la phrase, dans laquelle le mot « budget » est remplacé par celui de « PIB ». Quand on confond budget et PIB, on n’est pas loin de confondre nation et Etat.