L'amphibologie

Définition

Ce qu'en disent les spécialistes

« Ambiguïté d’origine grammaticale »

 

Illustrations

Moi, ce que j'en dis...

« Attention, enfants »,

            peut-on lire sur certains panneaux routiers triangulaires.

            Pourquoi ? Ils sont dangereux ?

 

« locaux à louer nus »

Cet écriteau, planté devant une maison aux volets clos, ne nous précise pas si la nudité s’applique aux locaux ou aux locataires.

 

La peur du gendarme peut-elle remplacer la peur du gendarme ?

Pas de tautologie derrière cette question… seulement une amphibologie. Dans une situation révolutionnaire, il arrive que  la peur change de camp : auparavant terrorisée par les forces de l’ordre en civil ou en uniforme, la population devient foule et se met en chasse, traquant ses anciens tortionnaires.

Le mot « du » n’a pas la même fonction grammaticale dans les deux substantifs.

            Dans le premier cas, il introduit un sujet : le gendarme éprouve de la peur.

            Dans le second cas, « du » introduit un complément : il s’agit de la peur éprouvée à l’égard du gendarme. Le gendarme inspire la peur.

Bien sûr, c’est exagéré. Et ça ne dure jamais bien longtemps. Pour une illustration extra-grammaticale, cliquez ici.

 

« Faire le tour du propriétaire »

            Expression curieuse et fascinante à la fois, dont l’ambiguïté ne l’a pas empêchée d’être adoptée sans hésitation et de faire l’objet d’un usage courant, stéréotypé et cependant parfaitement littéraire  (pour ne pas dire quelque peu précieux).

            Car enfin, que veut-elle dire ? Le propriétaire est-il si gros qu’on ne puisse en faire le tour sans que mention en soit faite dans tous les romans classiques comme contemporains ? Et d’abord, pourquoi faire le tour du propriétaire ? Ne vaudrait-il pas mieux, surtout quand on loue un terrain, une maison, un domaine, faire le tour de la propriété, pour en faire l’état des lieux ? Aurait-on confondu depuis si longtemps et avec tant de constance propriété et propriétaire ? Est-il vraisemblable que la confusion ait échappé à des générations d’écrivains confirmés voire auréolés de gloire ?

            Bien que l’origine de l’expression soit mystérieuse, elle s’éclaire dès lors que l’on considère « propriétaire » comme sujet du verbe « faire » et non comme complément du nom  « tour ». On ne tourne pas autour du propriétaire, on se met à la place du propriétaire qui, lui, fait un tour de sa propriété pour vérifier qu’il est bien toujours propriétaire, que sa propriété est en bon état, qu’elle n’a pas été abîmée ou violée par des cambrioleurs ou autres squatteurs, bref, qu’il peut continuer à en jouir sur ses deux oreilles.

 

Les pouvoirs magiques de Vladimir Poutine

Pour illustrer l’idolâtrie qui entourait Vladimir Poutine, un journaliste rapporta en 2012 que, selon la croyance populaire,   

            « il sauve un fleuve pollué par sa seule présence ». [1]

Doit-on comprendre

            que la seule présence de Poutine sauve un fleuve de la pollution

ou que

            la seule présence de Poutine suffit à polluer un fleuve ?

 

Massacrés ou massacreurs ?

« Pendant un moment ils cherchèrent des sujets communs pour pouvoir parler avec tranquillité, …Ils parlèrent… du  fait qu’à la place de la pâtisserie où ils se rencontraient se trouvait jusqu’en 1967 une église orthodoxe et que la porte de l’église détruite était cachée au musée ; de la section spéciale “Massacre des Arméniens” au musée (certains touristes croient qu’il s’agit d’une exposition sur les Arméniens massacrés par les Turcs et finissent par comprendre qu’il s’agit du contraire) ;… » Orhan Pamuk, Neige, Gallimard folio, 2002, p. 54.

 

De l’importance des traits d’union

 

         Savoir faire face au racisme

C’est le titre d’un ouvrage d’ Emmanuel Vaillant (coll. les essentiels, Milan Junior.)

Ce titre  peut être ambigu pour quiconque ne comprend pas l’utilité des traits d’union.

On pourrait le traduire en pensant que l’ouvrage en question enseigne à ses jeunes lecteurs un « savoir-faire » pour faire face au racisme.

 

         Madame démantèlement

Le 15 décembre 2020, sur France Inter [2], Sébastien Laugénie commentait une proposition de la Commission européenne  visant à s’attaquer aux positions dominantes des « Gafam ». «L’exécutif européen, dit-il, compte pour cela sur deux textes réglementaires, présentés par deux commissaires, le Français Thierry Breton, et la Madame démantèlement de l’Europe, Margrethe Vestager  ».

Faut-il comprendre que cette dame est chargée de démanteler l’Europe ?

En réalité, Mme Vestager était alors  la commissaire européenne chargée de la concurrence et  c’est à ce titre qu’elle pouvait être amenée à proposer le démantèlement des groupes coupables d’abus de position dominante et par conséquent d’atteinte au principe de la  « concurrence libre et non faussée » inscrit dans les traités européens. D’où son surnom de « Madame démantèlement »… de l’Europe. « De » signifie en réalité « dans » : elle est chargée, au sein de l’Union européenne, du démantèlement de certains groupes mais elle n’est pas chargée du démantèlement… de l’Union européenne.

A l’oral, impossible de distinguer les deux sens. A l’écrit, on peut le faire ainsi :

« la Madame-démantèlement de l’Europe... »

 

De l’importance de l’ordre des mots dans la phrase

«Seuls 10% des Français changent de mutuelle chaque année ».

On pourrait penser à la lecture de cette phrase que chacun de ces Français change chaque année de mutuelle. Cela semble invraisemblable.

En fait, on constate chaque année un nombre de changements de mutuelle qui représentent 10% de la population. Cela ne signifie pas que les Français qui changent de mutuelle une année donnée vont répéter cet acte l’année suivante ou l’ont déjà accomplie l’année précédente.

Il vaudrait mieux dire : « Chaque année, 10% des Français changent de mutuelle »

 

De l’importance des majuscules

 

         Poème

« Passer une

nuit à la Santé

nuit à la santé »

 

Ambiguïté du mot « bien ».

« Bien » a le tort de pouvoir signifier, selon les cas, soit la qualité (quelque chose de bien, quelqu’un de bien) soit la quantité (beaucoup). Qu’en est-il dans la citation qui suit ?

« M. Macron avait alors assuré poursuivre la mise en œuvre du programme de douze futurs sous-marins, qui représente un pilier d[u] partenariat et de la relation de confiance entre [les] deux pays ». Mais le vent a bien tourné sur celle-ci, jeudi, l’Australie rompant définitivement avec la France au profit des Etats-Unis et de la technologie nucléaire, à la « grande déception » de Naval Group. [1]

 

« Le choix américain qui conduit à écarter un allié et un partenaire européen... »[2]

S’agit-il d’un choix effectué par les Américains ou du choix, effectué par d’autres (ici des Australiens), pour une solution américaine ? En d’autres termes, l’adjectif « américain » qualifie-t-il un sujet ou un complément d’objet ? D’après le contexte, nous sommes ici dans la seconde éventualité.

À propos d’un amendement discuté le 20 octobre 2021 à l’Assemblée nationale, qui permettrait aux chefs d’établissements scolaires de connaître le statut vaccinal des élèves :  « Sylvie Magne, infirmière scolaire en Loire Atlantique et représentante du SNICS-FSU, le principal syndicat des infirmières de l’Education nationale,  redoute les effets de cette mesure chez nos confrères de France Info : « ... »  (France Inter, 21 octobre 2021, journal de 8 h)

On ne sait pas si cette mesure aura des effets redoutables sur les confrères de France Info (dont on suppose qu’ils sont vaccinés) ou si, plus probablement, Sylvie Magne exprime ces craintes… chez les confrères de France Info.

 



[1] L’Australie torpille le « contrat du siècle » pour la livraison de sous-marins français

Marie-Pauline Desset, 16 septembre 2021 lemonde.fr

[2] L’Australie torpille le « contrat du siècle » pour la livraison de sous-marins français

Marie-Pauline Desset, 16 septembre 2021 lemonde.fr

 

 

« Une bête curieuse »

Littéralement, une bête curieuse est un animal qui fouine partout. En réalité, ce que tout le monde entend derrière cette expression c’est : « une bête suscitant la curiosité », donc un animal étrange (et non fouineur), et même, beaucoup plus couramment, n’importe quel objet jugé étrange, inhabituel. L’adjectif « curieuse » est ici faussement employé comme épithète. Ce n’est pas la bête qui est curieuse, c’est son observateur. On trouve ici à peu près le même renversement de termes que dans : « faire le tour du propriétaire ».

 

Pas à pas, pas de pas...

« Derrière la porte, le plancher craque, …, elle est à ce moment-là une mère qui reconnaît le bruit des pas de son enfant… Pas de chat…. » (Natacha Appanah, Le ciel par-deessus le toit, Gallimard, folio, 2019, p. 54)

Il n’y a « pas de chat » ? Mais pourquoi y en aurait-il un ?

A moins qu’il ne s’agisse des pas d’un chat…

 

« Un bruit sourd »

La surdité s’applique en principe à un sujet, susceptible d’écouter, d’entendre et qui, quand il en est atteint, n’a plus cette faculté. Un bruit désigne à l’inverse un objet d’écoute, ce que précisément, un sourd ne parvient plus à entendre, qu’il l’écoute ou non. Par conséquent, dire qu’un bruit est sourd revient à inverser le sujet et l’objet. En réalité, un bruit est dit « sourd » lorsque sa perception par une oreille valide le fait ressembler à ce qu’un malentendant perçoit d’un bruit ordinaire, non « sourd ».

 

 

 

 



[1] France 2, 7 octobre 2012, journal de 13 h 00 de Laurent Delahousse.

[2] Journal de 7 h 30